Conscience morale & devoirLe bonheurLa libertéLa bioéthique

 

« Le monde est si corrompu que l’on acquiert la réputation d’homme de bien seulement en ne faisant pas le mal. » Duc de Lévis, maximes et réflexions.

Il suffit donc de s’abstenir du mal pour se faire une réputation d’homme de bien… sans jamais faire le bien ! C’est dire que nos balances morales ordinaires pèsent du côté du mal. Le seul effort de m’en dispenser ferait de moi… un « type bien » ! Cela tient peut-être au pouvoir d’attraction du mal, ce qu’Edgar Poe appelle « le démon de la perversité ». L’écrivain américain y voit une puissance élémentaire en l’homme. Mais pourquoi n’existerait-il pas, en symétrie, une séduction du bien ? Encore faut-il savoir ce qu’est le bien, que nous confondons souvent avec des biens de substitution : plaisir, argent, pouvoir, réputation… Le problème se complique quand nos vertus ne sont que les faire valoir de nos vices, ainsi que ne cessent de le souligner les moralistes, comme la Rochefoucauld : « La vertu n’irait pas loin si la vanité ne lui tenait compagnie. » Et St Augustin dénonçait déjà « l’orgueil de la vertu » comme pire que tous les vices ! Décidément, la balance pèserait du côté du mal…

Ajoutez à cela le scepticisme fréquent à l’égard de notre liberté – si l’homme se contente de cautionner après coup des pseudo-choix que le milieu, les hormones, l’idéologie, ou si l’on veut quelques démons lui font faire –, nous voilà réduit à l’état de marionnettes des déterminismes, bien loin de pouvoir faire un choix moral, en toute autonomie. Il faut prendre au sérieux les réquisitoires qui font de la liberté une illusion de la subjectivité, une ignorance des causes qui nous déterminent.

En admettant même un tout puissant « démon de la perversité », un tissu serré de conditionnements et une confusion relative de nos jugements moraux, le cours de philosophie de Terminale va soutenir ici la thèse d’une conscience libre et autonome dans les enjeux de valeur. Mais il faudra nous souvenir que si la liberté est un droit, elle est aussi un effort inachevable, une conquête permanente. Elle se conquiert contre les puissances d’inertie de l’âme et les puissances d’oppression de la société. L’abstention face au mal ne saurait suffire. Liberté implique engagement. Le poète René Char, pendant la 2e guerre mondiale, rend ainsi hommage à son « meilleur frère d’action » tué par les Allemands :

« Il portait ses quarante-cinq ans verticalement, tel un arbre de liberté. » René Char, Fureur et Mystère.